Droit comparé sur le gage/nantissement du contrat d’assurance-vie : les enjeux de la dépossession

En France

Alors que le nantissement d’un contrat d’assurance-vie s’opère toujours sans dépossession[1], un arrêt récent de la Cour de cassation française du 11 mai 2017[2] en tire une conséquence majeure pour le créancier. Le nantissement d’un contrat d’assurance-vie n’implique pas d’acte de dépossession qui traduirait une reconnaissance non équivoque par le débiteur de la créance garantie. Le nantissement d’un contrat d’assurance-vie n’interrompt pas la prescription extinctive de la créance garantie.

Ainsi, lorsqu’il résulte du nantissement d’un contrat d’assurance-vie que le créancier nanti aurait potentiellement eu droit au bénéfice du contrat à son terme[3], ce droit au bénéfice n’existera plus si ce terme intervient après que la créance garantie soit prescrite. Faute de dépossession, le nantissement n’est pas interruptif de prescription et disparaît en même temps que la créance.

Il en résulte que le créancier qui bénéfice d’un nantissement d’un contrat d’assurance-vie doit désormais impérativement agir pour recouvrer sa créance, dès que cette dernière devient certaine, liquide et exigible et sans attendre le dénouement du contrat d’assurance-vie.

En Belgique

La dépossession reste, à ce jour, une condition d’opposabilité du gage d’un bien meuble incorporel en application de l’article 2076 du Code civil belge, quand bien même la dépossession d’une créance s’opère uniquement par la conclusion de la convention de gage en application de l’article 2075, 1er alinéa, du Code civil belge.

Ainsi, la mise en gage d’un contrat d’assurance-vie, effectuée en application de l’article 182 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, doit encore être considérée comme interruptive de la prescription de la créance garantie au sens de l’article 2248 du Code civil belge.

À court terme néanmoins, la loi du 11 juillet 2013 modifiant le Code civil en ce qui concerne les sûretés mobilières et abrogeant diverses dispositions en cette matière devrait introduire le gage sans dépossession en droit belge. L’entrée en vigueur de cette loi, initialement prévue au 1er décembre 2014, a cependant été repoussée au 1er janvier 2018.

Au Luxembourg

Il n’y a pas eu, au Luxembourg, de réforme du droit commun du gage équivalente à celle opérée en France ou à celle en cours en Belgique.

Ainsi, la dépossession reste une condition de fond du droit commun en matière de gage d’un bien meuble incorporel en application de l’article 2076 du Code civil.

Faute de dispositions spéciales, cette exigence de dépossession est applicable à la mise en gage d’un contrat d’assurance-vie effectuée en application de l’article 117 de la loi du 27 juillet 1997 sur le contrat d’assurance. En pratique, cette mise en possession s’opère par la remise d’un exemplaire du contrat d’assurance entre les mains du créancier gagiste.
Il en résulte que la mise en gage d’un contrat d’assurance-vie peut encore être considérée, en droit luxembourgeois, comme interruptive de prescription de la créance garantie au sens de l’article 2248 du Code civil.

Pour mémoire, il est rappelé ici que la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière a certes réformé le droit du gage mais sans remettre en cause l’exigence de dépossession, réelle ou assimilée. De plus, le champ d’application de cette loi porte uniquement sur les « avoirs », définis comme étant des instruments financiers ou des créances. Pour de nombreux motifs de droit, un contrat d’assurance-vie ne peut pas être assimilé à un instrument financier, de même qu’il est difficilement concevable d’assimiler un contrat d’assurance-vie à la seule créance éventuelle et aléatoire y contenue. Par conséquent, un contrat d’assurance-vie ne peut être valablement mis en gage en application de la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière.

Ainsi, contrairement à la situation actuelle en France, il semble que le créancier qui bénéfice d’un gage sur un contrat d’assurance-vie régi par le droit luxembourgeois n’a pas à s’inquiéter du risque de voir sa créance s’éteindre en raison de son inaction, tant que le contrat d’assurance-vie n’est pas dénoué.


[1] Article L.132-10 du Code des assurances
[2] Cour de cassation, la 1ère chambre civile, 11 mai 2017, no 16-12.811
[3] Décès de l’assuré en cours de contrat ou survie de l’assuré à la date prévue au contrat